Notre tribune dans Le Monde

Parue ce 11 mars 2021 dans les pages Débats du Monde, notre tribune collective (Un Plus Bio, Agores et Manger Bio) revient sur la fameuse polémique des menus sans viande de la ville de Lyon.

Au-delà des mots, une analyse de fond pour sortir des clivages, avec détermination et enthousiasme !

« En se focalisant sur le clivage avec ou sans viande, le débat public n’aborde pas la question de la qualité alimentaire »

Gilles Pérole, président d’Un Plus Bio et élu local, Christophe Hébert, président d’Agores et Vincent Rozé, président du réseau Manger Bio.

La végétalisation des menus dans les cantines scolaires permet d’augmenter la part de bio et de local, notent dans une tribune au « Monde » trois acteurs du secteur, soulignant la nécessité de s’interroger sur la qualité des protéines, qu’elles soient animales ou végétales, et la sensibilisation aux bons enjeux et d’implication des citoyens.

Bonne nouvelle, l’enjeu des cantines et leurs 3,5 milliards de repas annuels reviennent au cœur du débat public. La ville de Lyon a décidé de supprimer la viande de ses menus pendant quelques semaines, à compter du 22 février, pour des raisons sanitaires et techniques, pour ne conserver qu’un repas unique.

Cette décision a fait l’objet de vives critiques de la part de certains membres du gouvernement, ce qui en dit long sur notre approche culturelle de l’alimentation en restauration collective, en révélant son lot d’incompréhensions et de méconnaissance de ce secteur économique et social fondamental,
voire une forme d’hypocrisie collective.

Le menu végétarien n’est pas qu’un choix militant

Passons d’abord sur la polémique politicienne, pour regarder de plus près quelques réalités qui, à nos yeux, vont dans le sens de l’histoire. On l’oublie rapidement mais avec la loi EGalim, les cantines scolaires de France sont déjà tenues d’introduire un menu végétarien par semaine depuis le 1er novembre 2019. Cette mesure n’est pas le fruit du hasard, elle est issue d’un long travail du Haut conseil de santé publique et de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), qui s’est traduit par une série de recommandations autour des protéines végétales (légumineuses, céréales) dans le dernier Programme national de l’alimentation et de la nutrition.

La ville de Lyon, comme toutes les collectivités qui servent des repas en restauration collective, est-elle en droit de prendre une décision aussi importante pour ses usagers comme pour les employés de ses cuisines ? Notre réponse est oui. D’abord, la mise en place d’un protocole sanitaire renforcé le 1er février dernier (et sans aide de l’État) au sein des cuisines collectives génère de vraies tensions et des difficultés techniques, sans compter la pression sur les effectifs en cas d’isolement de cas contacts de la Covid 19.

Quand les territoires se mettent en mouvement

Ce n’est pas tout : face à l’urgence climatique, de plus en plus d’élus locaux osent aujourd’hui prendre des décisions courageuses pour peser sur le changement. Beaucoup de villes ont, à cet égard, inscrit au cœur de leur projet de transformer en profondeur leurs politiques alimentaires. Avec une nouvelle équipe aux commandes, Lyon fait partie de ces territoires en mouvement qui
veulent faire progresser la qualité en restauration sur le long terme. Et s’il est difficile de mettre tout le monde d’accord, il nous paraît plus maladroit encore de dicter leurs choix à des communes qui initient et expérimentent des changements de vision.

Ce volontarisme est en effet une bonne nouvelle, contagieuse qui plus est : en Alsace, des maires veulent introduire le produit de la chasse et le sanglier dans les menus, pour valoriser une denrée locale et diminuer les importations de viande ; d’autres collectivités proposent déjà au quotidien des doubles menus, avec ou sans viande au choix ; dans les Pyrénées-Atlantiques, le produit de la pêche locale s’invite depuis quelques années dans les cuisines des collèges pour en finir avec la surexploitation des ressources dans les eaux lointaines. Ailleurs encore, des communes créent des régies agricoles pour étoffer l’offre de légumes bio et locaux que le marché seul ne satisfait pas.

Mais pour réussir leur transformation alimentaire, les territoires doivent aussi jouer la carte du partage avec la population : sensibiliser aux bons enjeux, éduquer à la notion de qualité, impliquer les citoyens dans la prise de décisions, sans quoi il n’est pas de vraie démocratie alimentaire, celle qui vise à satisfaire l’objectif d’une meilleure santé commune à la fois sociale, environnementale et
humaine.

De quelle production locale parle-t-on ?

Enfin, concernant l’approvisionnement local, un certain aveuglement consiste à ne pas voir la réalité en face. Aux défenseurs des agriculteurs et des bouchers français, il faut rappeler qu’en restauration collective, et malgré EGalim, rien n’a vraiment changé au niveau des marchés publics, qui vont à l’encontre de la relocalisation de l’alimentation. La réglementation européenne empêche en effet d’introduire des critères de proximité dans les achats. C’est bien le cas dans l’élevage où la filière longue domine, et cela fait longtemps que le boucher du village ne livre plus une cantine, encore moins dans le cadre d’une gestion concédée à un opérateur privé comme c’est le cas à Lyon.
La France joue gros dans le secteur de l’élevage, mais elle est directement concurrencée par le recours aux importations à bas coût, au sein de l’Union européenne comme en provenance de l’Amérique du Sud et du Nord.

En se focalisant sur le clivage avec viande ou sans viande, le débat public n’aborde pas du tout la question de la qualité alimentaire. Il faut pourtant s’interroger sur la qualité des protéines, qu’elles soient animales ou végétales. Et si de nombreuses collectivités réussissent à augmenter la part de bio et local, c’est aussi parce qu’elles végétalisent les menus. Ce qui, au final, est bon pour le
climat, pour la santé publique, pour le plaisir des papilles et pour les budgets !