La démocratie alimentaire

Manger bio, local, sain et juste en restauration collective, voilà un bel objectif. Mais ce projet sera d’autant plus abouti qu’il reposera sur un socle de réflexions profondes engagées à l’échelle des territoires pour transformer leurs approches de l’alimentation en visant l’objectif d’une triple santé commune : humaine, environnementale et sociale.

En ce sens, la notion de « démocratie alimentaire » est appelée à faire son chemin. La démocratie, si on la résumait à grands traits, se traduit par un régime politique représentatif dans lequel les citoyens ont et délèguent le pouvoir. Lui ajouter l’attribut « alimentaire », en plus d’être inédit, ouvre de nouveaux horizons. C’est le sens de la recherche du juriste François Collart Dutilleul, auteur du livre « Nourrir » auquel a participé Un Plus Bio, pour qui « la démocratie alimentaire raisonne de la fourchette à la fourche plutôt que l’inverse, à rebours de ce qu’on fait depuis des décennies. Dans une démocratie alimentaire, on ne
mange pas ce que les uns et les autres ont intérêt à produire. On produit ce que les uns et les autres ont envie de manger. »

Transformer les territoires par et pour l'alimentation

Manger mieux, c’est éminemment politique. Pendant des années, ce n’était pas si évident à comprendre et on l’a pensé bien seul… Il y a moins de dix ans, le simple fait de plaider pour l’introduction, en restauration collective, d’aliments de qualité, c’est-à-dire sains, bio, de saison et issus de productions locales, revenait au mieux à passer pour des écolos gentils et sans danger. On avait alors l’impression de prêcher dans un immense désert politique.

L’époque était « hygiéniste » et « rationaliste », on traquait d’abord la bactérie et le moindre surcoût dans les cantines, et les élus des collectivités avaient le sentiment du devoir accompli en distribuant de manière égalitaire des calories, point. On remplissait des ventres, en somme, sans se soucier du reste, c’est-à-dire de l’essentiel.

Ce qu’on entrevoyait moins, et il est heureux de constater que les lignes commencent à bouger, c’est combien la restauration collective constitue un formidable levier et fournit de solides arguments pour vivre mieux et développer, à l’échelle de tous les territoires, un contrat social d’un genre nouveau : un contrat qui réveille les consciences, redonne du lustre à la participation des citoyens et redore l’action politique. « Dessine-moi ta cantine et je te dirai quel est le niveau de vitalité démocratique de ton territoire. »

Du sol à l’assiette, il y a une foule de gens, producteurs, transformateurs, distributeurs, cuisiniers, gestionnaires, agents de services, élus, techniciens, parents d’élèves, convives, militants associatifs qui découvrent qu’ils peuvent non seulement travailler ensemble mais, plus encore, qu’ils peuvent déplacer des montagnes. L’alimentation décloisonne, rassemble, ouvre des perspectives collectives autant qu’elle flatte les initiatives individuelles.

La santé commune

Une cantine à Épinay-sur-Seine (93), membre du Club des Territoires. Photo JC Lemasson.

On peut entendre par politique de santé commune une politique publique de l’alimentation qui vise à satisfaire tout à la fois les besoins humains, environnementaux et sociaux d’un territoire. « Si l’environnement va mal, la santé humaine est fragilisée, soutient le chercheur François Collart Dutilleul. Et si la santé des personnes se détériore, la société va encore plus mal. Or quand la société est malade, l’environnement tend à être négligé. C’est précisément parce que ces trois composantes dépendent les unes des autres qu’il faut les associer de telle manière que les ressources disponibles, naturelles, humaines, sociales, économiques, s’ajustent avec les besoins, eux-mêmes naturels, humains, sociaux et économiques. Toute décision (ou groupe de décisions) ne sera jugée pertinente que si elle permet de “cocher” ces composantes de la santé commune. »
Rapportée à l’échelle des territoires, la santé commune est forcément solidaire et doit faire coexister des décisions collectives en vue de constituer un nouveau socle de « biens communs » qu’une collectivité devrait prioriser et dont elle devrait prendre soin.
Si l’on vise un accès pour tous à une alimentation de qualité, développer une agriculture biologique sur son territoire en prenant appui sur la restauration scolaire n’est pas un axe suffisant. La stratégie foncière, une politique de logements écologiques accessibles, des lieux de « cantines populaires » proposés à l’ensemble de la population sont autant d’ingrédients qui facilitent cette santé commune.
La démocratie alimentaire, c’est le pouvoir de mieux manger tout en améliorant le bien-être global des territoires.

Pour aller plus loin

“NOURRIR, quand la démocratie alimentaire passe à table”, a été publié en aux éditions Les Liens qui Libèrent. Écrit par François Collart Dutilleul, professeur agrégé de droit et membre honoraire de l’Institut de France, c’est un ouvrage qui a été réalisé en partenariat avec Un Plus Bio dont Stéphane Veyrat,directeur, et Julien Claudel, journaliste associé.

Qu’est-ce que la démocratie alimentaire ? Est-on simplement dans la  théorie ou peut-on la mettre facilement en pratique sur les territoires ? Quel rôle pour le citoyen ? Pour le politique ? Pour les acteurs de l’économique, du social, du culturel ?

À ces questions, et bien d’autres, François Collart Dutilleul apporte de brillants éclairages avec ce qu’il faut de pédagogie, dans un style clair et accessible. Il donne au lecteur les clés de compréhension du grand désordre alimentaire mondial en dessinant, au fil de la lecture, des pistes de solutions pour faire de notre alimentation un véritable tremplin démocratique.

Autrement dit, il nous amène à comprendre que nourrir est hautement politique, et qu’il revient plus que jamais aux citoyens et aux États de parvenir à faire coexister une pluralité de mondes alimentaires. Il vise à imaginer d’autres itinéraires, en explorant la loi de l’ajustement des ressources naturelles et des besoins alimentaires (et non plus seulement celle de l’offre et de la demande), en vue d’inspirer le passage à l’acte sur tous les territoires. Il appelle également à une réforme audacieuse du cadre juridique mondial et soumet à la discussion un projet de convention internationale qui vise à associer sécurité alimentaire,  préservation des ressources et diversité agricole.

“Nourrir, quand la démocratie alimentaire passe à table”, éd.Les liens qui Libèrent, 224 p, 17 €.

La matinée Démocratie alimentaire au Ministère

En 2023, les élus du Club et leurs équipes ont été accueillis en grande pompe par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu pour raconter comment la démocratie alimentaire s’invente sous nos yeux.

Retrouvez-le récit et l’album photo de la matinée !

Les bons liens

Par le programme de recherche Lascaux

« Typologie des politiques publiques de restauration collective locale et durable », lauréat du Programme National pour l’Alimentation, s’inscrit dans les travaux menés par le programme de recherche Lascaux de l’université de Nantes.