Les Lilas (93), laboratoire d’une démocratie alimentaire qui vise une meilleure santé commune

Tous nos articles
11 mars 2021
À la une

Dans une ville qui servait des repas « comme les autres » en s’appuyant sur un prestataire, l’action d’un collectif citoyen a accéléré le projet de faire naître une autre restauration.

Réceptifs, les élus ont opéré un virage remarquable, qui aboutit à une forme de dialogue par et pour l’alimentation dont pourraient s’inspirer bien des collectivités.

Photo : commune des Lilas.

Tout d’abord, un décor. Une ville de 24 000 habitants, aux portes de Paris, dans ce département du 9-3 au nom qui résonne plus, quand on n’y habite pas, dans les rubriques « société » que « people » des journaux : a priori tenaces dans un monde qui aime classer par genre. Le paysage social des Lilas est plus subtil. « La commune forme un beau mélange, il y a autant de populations issues des grands ensembles que de « bobos » transfuges du grand Est parisien », résume Gaëlle Giffard, élue aux Lilas depuis 2020, déléguée à l’alimentation et à la restauration scolaire.

Ensuite, un contexte. Dans cette ville du Grand Paris, plus de 1 700 repas sont préparés quotidiennement, livrés sur huit points de restauration scolaire. La cuisine est gérée depuis de nombreuses années par un opérateur privé sous contrat, d’abord la Sogeres puis Elior, avec un cahier des charges de plus en plus exigeant qui demande d’introduire du bio et du local dans les menus. Une situation pareille à de nombreuses villes de l’Hexagone qui souhaitent évoluer, confrontées autant aux attentes sociales qu’à leur carcan budgétaire et, depuis peu, aux recommandations de la loi EGalim. La différence, aux Lilas, tient au fait que quelque chose a vraiment bougé, progressivement, et fondamentalement, dans l’approche des politiques publiques de l’alimentation, qui mérite qu’on y regarde de plus près.

Les acteurs, maintenant.
– En un, la société civile. C’est d’elle qu’est parti le premier coup. Quelques parents d’élèves, au mitan des années 2010, décident de se réunir en collectif. Ils trouvent un joli nom, médiatique : « Pas d’usine, on cuisine ». Leur combat, arrimé aux valeurs qui montent dans l’esprit public : plus de bio, plus de relocalisation, plus de qualité alimentaire au service de la population qui mange hors domicile, le tout dans une boucle qu’ils espèrent vertueuse pour le développement économique et social du territoire. D’une certaine façon, c’est à peu près toujours comme ça que les révolutions se produisent : une poignée de personnes déterminées se concertent et lancent les bases d’une évolution qui, à force de pugnacité, gagne en reconnaissance, non sans passer par d’inévitables périodes de dissidence.

– En deux, la collectivité locale. Elle est aujourd’hui représentée par le maire, Lionel Benharous, ancien maire adjoint depuis 2008 (et en charge de l’éducation et la restauration scolaire), prof d’histoire-géo passionné d’histoire moderne, devenu premier magistrat en 2020. Il est également vice-président du territoire du Grand Paris Est-Ensemble en charge de la démocratie alimentaire. Comme tout personnage public, on lui colle autant l’étiquette d’un homme convaincu que celle de celui qui doit jouer et composer sans déplaire à ses différents publics, traduire : faire plaisir aux uns, et parfois moins plaisir à d’autres, dans ce cadre si désuet et pourtant si nécessaire d’une démocratie en mouvement. Les élu(e)s sont ainsi, au carrefour des attentes citoyennes et de la décision publique.

« Nos objectifs n’étaient pas facilement partagés : que ce soit au sein de la mairie comme au sein de la population, les levées de boucliers ont été fréquentes »

Isabelle Bretegnier, co-fondatrice du collectif « Pas d’usine, on cuisine ».

Le projet. Que se passe-t-il de si particulier aux Lilas qu’il vaille d’en apprécier les étapes progressives d’une véritable transformation, par et pour l’alimentation ? À vrai dire, beaucoup de choses. « On part de loin », confie Isabelle Bretegnier, une parente d’élève à l’origine de la formation du collectif « Pas d’usine on cuisine ». « Quand vous avez face à vous des personnels de restauration, des parents, des cuisiniers, qui ont tous une approche, des conceptions et des pratiques différentes, l’espace de l’expression citoyenne n’est pas évident à installer. Nous réclamions moins d’industriel, moins de viande, plus de bio, et ces objectifs n’étaient pas facilement partagés : que ce soit au sein de la mairie comme au sein de la population, les levées de boucliers ont été fréquentes ». Néanmoins le débat public réussit à se frayer un chemin. Page Facebook, organisation d’une journée populaire sur le thème de la transition, réunions répétées avec les membres de l’équipe municipale, campagnes de communication… Au final, un dialogue se construit, progressif et rassembleur.

Gaëlle Giffard, nouvelle élue à la restauration, est issue d’une liste Europe-Écologie Les Verts pour laquelle l’alimentation était l’un des enjeux majeurs du scrutin. Lorsqu’il a fallu fusionner avec la liste du nouveau maire, un accord fut rapidement trouvé sur le sujet de la politique alimentaire : les cantines, en ce qu’elles peuvent permettre d’ouvrir des horizons de développement local et de viser une meilleure santé commune, deviendraient un dada officiel de l’équipe municipale.

« Lorsqu’il y a une volonté, il y a un chemin »

Le maire des Lilas, Lionel Benharous.

Et ce contrat est en passe d’être rempli. Le maire lui-même en est convaincu, qui balaie assez rapidement le passif d’un conflit plus ou moins ouvert avec « Pas d’usine on cuisine ». « Je retiens d’abord qu’on a passé plus de temps à la concertation qu’à la confrontation, même si je ne nie pas une défiance initiale réciproque », reconnaît Lionel Benharous. « Surtout, je veux mettre en avant cette idée positive que lorsqu’il y a une volonté, il y a un chemin ».

Les évolutions. Progressivement, on mange mieux dans les cantines des Lilas. Ce n’est pas encore la panacée, reprochent encore certains, mais les évolutions vont dans le bon sens. Le maire estime même que « depuis une douzaine d’années, c’est vraiment le jour et la nuit ». Dans la foulée de l’adhésion au Club des Territoires Un Plus Bio, la commune a obtenu le premier niveau du label « En cuisine » d’Ecocert, en juin 2016. Un premier pas qui en appelle d’autres. Le maire et Gaëlle Giffard planchent sur la possibilité de remunicipaliser la restauration collective. Ce type de chantier séduit de nombreuses collectivités, bien qu’il soulève des appréhensions, légitimes quoique vite rassurées par des centaines d’expériences réussies. Quitter le confort d’un contrat soigné avec une société privée qui livre des repas clés en main pour se retrouver en prise directe avec le réel, voilà un virage pas toujours facile à négocier, mais c’est possible. La commune se voit facturer 2,80 € un plateau repas livré par Elior, un tarif qui paraît compétitif, pourtant le coût global pour la collectivité est bien supérieur, compte tenu des moyens humains employés, des bâtiments, de l’énergie, etc : il faut ainsi compter a minima 11 € par repas servi. Des marges de progrès existent, indubitablement.

Moins de gras, moins de sucre, moins d’aliments ultra-transformés, augmentation de la part des produits bio, locaux, et de saison… Le maire Lionel Benharous en est convaincu : « Je suis moins idéologue que pragmatique et je pense qu’on a atteint un plafond ; si l’on veut continuer de progresser sur la qualité et la durabilité de notre modèle de restauration sans augmenter les coûts, il faudra tôt ou tard sortir de la prestation privée. Car pour satisfaire leurs objectifs, on le sait, les entreprises de restauration ont besoin de proposer des prix bas et, par conséquent, d’utiliser des produits qui ne nous satisfont pas pour dégager le plus de marge possible. Nous allons donc irrémédiablement vers une reprise en main progressive de la restauration, c’est une évidence. »

Quel sera le visage du futur service public local de l’alimentation ? Il est encore trop tôt pour l’entrevoir clairement. Fin février, Gaëlle Giffard a réuni une trentaine de parents d’élèves et les acteurs de la restauration pour flécher, ensemble, les directions possibles. « En attendant de lancer ces travaux de prospective, écrit-elle sur un blog d’élus, nous souhaitons consulter les enfants, les parents et les membres de la communauté éducative sur les pistes pour améliorer notre cahier des charges. Il est déjà bien exigeant mais les repas ne sont pas forcément satisfaisants : environ un tiers des plateaux repas finissent encore à la poubelle. » Les militants de « Pas d’usine, on cuisine », eux, n’étaient pas là, comme à la première heure. « Beaucoup de parents ont déménagé ou leurs enfants ne fréquentent plus les cantines lilasiennes », éclaire Isabelle Bretegnier. Mais un héritage est transmis, qui ne demande qu’à mûrir. « Passer d’une immense cuisine centrale privée à une immense cuisine centrale publique serait un non-sens et n’apporterait pas les améliorations que nous souhaitons, tranche Lionel Benharous. On va chercher les solutions les meilleures, adaptées à notre territoire, en lien avec nos voisins, pour proposer une alimentation de grande qualité aux enfants des Lilas et un projet vertueux sur les plans écologiques et budgétaires.» Les communes du Pré-Saint-Gervais, Pantin et Romainville, limitrophes, pourraient être intéressées.

Manger mieux, c’est politique, répétons-nous inlassablement à Un Plus Bio. On ajoutera sans difficulté que, comme c’est justement politique, c’est parfois un petit chemin de croix qui prend du temps.

Julien Claudel

Partager l'article