Pesticides : faut-il arrêter de prendre des arrêtés ?

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14 novembre 2019
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Daniel Cueff avec Anne Hidalgo, aux Victoires des cantines rebelles, le 6 novembre 2019 à Paris.

À Un Plus Bio, on aime les débats, y compris jusqu’à la controverse, quand les enjeux valent la peine et qu’ils éveillent les consciences. Lors de la journée des Victoires à Paris, le prix du courage politique a été décerné à Daniel Cueff, le maire de Langouët (35) pour la publication de son arrêté contre l’usage des pesticides sur sa commune dans un rayon de 150 m autour des habitations. On le sait, une campagne médiatique peu commune a, depuis l’été dernier, amené de nombreuses villes, dont Paris, Dijon ou Grenoble (membres d’Un Plus Bio) à interdire l’usage des produits chimiques sur leurs périmètres communaux. Le gouvernement, lui, a timidement réagi en proposant des zones de protection de 5 à 10 m et le président Emmanuel Macron, s’il a dit comprendre le geste politique du maire breton, s’en remet toutefois à l’application de la loi. Or depuis cet été, les tribunaux administratifs ont systématiquement suspendu les arrêtés municipaux, estimant que le pouvoir de prendre des mesures de protection sanitaire ne relève pas des mairies mais plutôt des ministères.

C’était sans compter sur la nouvelle surprise surgie du paysage que l’on croyait jusqu’ici très policé du droit. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a en effet rejeté en référé le 8 novembre une demande de la préfecture des Hauts-de-Seine qui réclamait la suspension de deux arrêtés anti-pesticides à Gennevilliers et Sceaux.

« Pour un dialogue opérationnel plutôt que pour des décisions symboliques »
Dominique Fédieu, maire de Cussac-Fort-Médoc (33)

Le débat public est ainsi relancé sur la manière d’appliquer localement le principe de précaution et d’engager la responsabilité des maires engagés dans des combats écologiques à la fois très suivis médiatiquement et favorablement soutenus par l’opinion publique.

Dominique Fédieu, maire de Cussac-Fort-Médoc, membre du CA d’Un Plus Bio et vigneron bio.

La question reste de savoir comment faire évoluer le vaste débat sur les pesticides. Pour Dominique Fédieu, maire de Cussac-Fort-Médoc et membre du conseil d’administration d’Un Plus Bio, « ces arrêtés souverains qui édictent des règles me gênent et me font penser à des coups de communication politique dans une période pré-électorale ». Ce cri du cœur vient d’un élu lui-même engagé dans le bio, qui a créé une régie agricole bio pour sa cantine. Dominique Fédieu est aussi vigneron en Médoc, en agriculture biologique. « J’ai discuté avec Daniel Cueff aux Victoires, et je le rejoins sur l’urgente nécessité d’agir en faveur de l’environnement. Il a bien expliqué qu’il n’avait pas pris un arrêté contre les agriculteurs mais contre les industriels des produits phytosanitaires. Néanmoins, les arrêtés anti-pesticides stigmatisent le monde agricole dans son ensemble. Certains maires, sans le savoir, ont pris des mesures d’interdiction d’épandage de tous produits, or en bio on fait aussi des épandages, à ceci près que ce ne sont pas des molécules de synthèse. »
L’élu girondin, par ailleurs conseiller départemental, plaide pour « un dialogue opérationnel plutôt que pour des décisions symboliques » et souhaite travailler avec tous les agriculteurs. En 2018, la région bordelaise avait défrayé la chronique, avec l’épandage de produits chimiques suivi d’une intoxication collective dans une école du Blayais. Prenant l’affaire au sérieux, Dominique Fédieu avait cherché à prévenir un tel problème sur sa commune. Il s’était alors rapproché du viticulteur local pour le convaincre de « traiter une bande de protection en bio » près du groupe scolaire. Et ça a marché.

« Les agriculteurs traversent une sale période ; avant on les aimait, aujourd’hui ils subissent une grande frustration. »
Frédéric Touzellier, maire de Générac (30)

Nouveau membre du Club des territoires Un Plus Bio, ancien vigneron en conventionnel, le maire de Générac (30) Frédéric Touzellier rejoint la même position. « Les agriculteurs traversent une sale période ; avant on les aimait, aujourd’hui ils subissent une grande frustration. La réalité est pourtant nuancée, il n’y a jamais eu autant d’agriculture raisonnée. Autrefois j’ai moi-même participé à une forme d’agriculture intensive en employant des traitements de fous, mais ça c’est fini. » Sa transition personnelle vers le bio est récente mais déterminée : 30% de produits bio et 40% de local entrent dans les menus de sa cantine locale. Mais l’élu gardois craint la disparition du métier agricole avec la multiplication des renoncements à l’installation, et se dit favorable « à un vrai débat, clair et serein, qui ne dresse pas des camps les uns contre les autres ». Il rappelle que les communes, dans le cadre des PLU (plans locaux d’urbanisme), disposent de vrais leviers pour définir à long terme ce qu’on peut faire ou pas sur les territoires, et notamment protéger le foncier agricole. « En tant qu’élu, ce qui m’intéresse, c’est la démarche de qualité sincère qui anime les producteurs. En bio, bien sûr, mais sans exclure tous les autres dont a impérativement besoin pour nourrir la population. »

La bataille et les rebondissements juridiques sur les prises responsabilité politique continuent, et si le coup d’éclat du maire de Langouët, soutenu depuis le début par notre réseau, a été un salutaire pavé dans la mare, il n’empêche pas d’entrer dans le vif d’un sujet passionnant en évitant toute radicalisation.

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