Enquête de l’AMF 2024 : que faut-il retenir ?

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28 juin 2024
Analyses

Enquête de l'AMF 2024 : notre point de vue

Ce mois-ci, l’Association des Maires de France, en partenariat avec AgroParisTech, faisait paraître la synthèse de sa dernière enquête sur la restauration scolaire. Certains résultats ont particulièrement retenu notre attention, on vous explique pourquoi. Rapport disponible ICI

Notre surprise : des surcoûts systématiquement attribués aux approvisionnements en produits durables et de qualité

 

Parmi les principaux enseignements de l’enquête, on découvre que « près des deux tiers des répondants (64% contre 73% en 2020) rencontrent un surcoût financier lié à l’approvisionnement en produits de qualité et durables » (AMF, juin 2024). Pour étayer ce résultat, on s’attendrait à ce que l’étude mette en perspective l’évolution de l’approvisionnement en produits de qualité et durables avec le coût réel des denrées. Pourtant, à notre grande surprise, aucune donnée chiffrée ne conforte cela. Cette affirmation semble donc s’appuyer uniquement  sur une perception des surcoûts par l’échantillon interrogé. La seule information chiffrée que nous livre le document se trouve en page 8 avec 18% des répondants qui déclarent respecter les seuils de 50% de produits de qualité et durables, dont 20% de bio imposés par la loi Egalim. En aucun cas, les données collectées ne nous permettent d’étudier la corrélation entre l’augmentation du coût des denrées pour les collectivités et l’amélioration de la qualité des produits.

Dans son rapport, l’AMF s’appuie également sur la comparaison des résultats de l’enquête 2020 et 2024. On apprend ainsi que « le coût moyen d’un repas, hors participation des familles, est estimé à 8,49€ [en 2024] (contre 7,63€ déclarés en 2020) » (AMF, 2024), soit moins d’1€ de plus, laissant entendre que les obligations fixées par Egalim seraient en partie responsables. Ce qui nous paraît surprenant, c’est l’absence de mention sur la hausse historique des coûts de l’énergie qui impacte directement le coût global du repas. D’ailleurs, un rapport du sénat de juillet 2022, s’appuyait notamment sur les associations d’élus pour alerter sur ces hausses : « Pour l’Association des maires de France (AMF) et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), ces hausses oscilleraient entre 30 % et 300 %. » (Sénat, Rapport n° 836, 2022).

Concernant la méthodologie du calcul des coûts (cf. figure page 12 du document), au-delà d’une erreur d’inversion des données entre le texte et le graphique, le périmètre de calcul des coûts du repas n’est jamais précisé, ce qui limite l’interprétation des résultats. Aussi, qu’en est-il de la  nature des dépenses concernées par le « surcoût » : est-ce qu’on entend par là un surcoût sur les achats alimentaires ? Et si tel est le cas, comment savoir si ce surcoût provient bien des produits de qualité et durables ? Quant au terme de « coûts alimentaires », peu utilisé dans la comptabilité des municipalités, il ne nous éclaire pas davantage.

 

Les chiffres de l’Observatoire nous invitent à poser un autre regard sur la question des coûts

 

Grâce à l’Observatoire, nous avons comparé les chiffres de l’échantillon de l’AMF (graphique « décomposition des coûts d’un repas », page 12) au coût des denrées par repas obtenu sur un échantillon équivalent, c’est-à-dire uniquement des écoles maternelles et primaires (soit 1448 sites de restauration). Ces données proviennent uniquement de cantines engagées dans le label « En Cuisine » et ont été collectées sur l’année 2022 lors des audits sur site d’Ecocert). Nous constatons ainsi un coût des denrées moyen par repas bien inférieur à ceux annoncés par l’enquête de l’AMF. Comme l’indique le graphique ci-dessous, nous avons une moyenne à 2,17€ (Hors Taxe) avec des variations de 2,33€ pour les communes qui font moins de 300 repas (équivaut aux communes de moins de 2000 habitants) à 2,03€ pour les communes qui font plus de 5000 repas/jour (équivaut aux communes de plus de 30 000 habitants).

Sans compter que dans l’échantillon d’Un Plus Bio, nous pouvons affirmer avec certitude que ces communes sont à 45% de bio en moyenne, donc largement au-dessus du seuil fixé par Egalim.

 

Les données fusent mais le changement se fait attendre

 

À travers l’animation de l’Observatoire depuis 8 ans, la complexité du travail de collecte et d’analyse de données nous a obligé à mettre en place une méthodologie rigoureuse et des garde-fous que nous ne retrouvons malheureusement pas dans toutes les études publiées aujourd’hui sur le sujet.

La traçabilité de la donnée :

Avec l’arrivée de nombreuses collectivités dans l’échantillon de l’Observatoire ces dernières années (600 collectivités et 10 000 cantines représentées en 2022), nous nous sommes confrontés à des décalages croissants entre données déclaratives et données vérifiées sur les pourcentages de produits bio et locaux. Ces décalages nous ont conduit à faire le choix de la traçabilité en privilégiant la donnée issue du label Ecocert « En Cuisine » car elle représente à nos yeux une condition incontournable pour progresser.

Les définitions communes :

Ce qui fait la différence entre une donnée déclarative et une donnée vérifiée, c’est toute la méthodologie qui se cache derrière pour la recueillir, la nettoyer et l’analyser. Sans définitions communes et sans cahier des charges strict sur lesquels s’appuyer, chaque collectivité applique sa propre méthode. À ce titre, les définitions nous ont manqué dans l’enquête de l’AMF.

La nature de l’échantillon :

En restauration collective, les facteurs qui influencent le fonctionnement d’une cantine sont nombreux (taille de la commune, type de gestion, agriculture présente sur le territoire…). Les caractéristiques des collectivités qui répondent ont donc leur importance, d’autant plus quand on compare deux périodes. En l’absence de précision sur le mode de collecte et la nature des échantillons, les parallèles fait par l’AMF entre les résultats de l’enquête 2020 et 2024 nous questionnent.

Une analyse qui mérite d’être partagée avec d’autres :

Un des enseignements que nous avons tiré de notre Observatoire, c’est la nécessité de confronter les résultats à une diversité de regards. Avoir autour de la table des professionnels de la restauration nous a permis de consolider nos résultats et de nuancer nos interprétations pour en tirer des éléments utiles dans les prises de décisions des élus.

 

A-t-on envie de changer un peu de musique ?

 

Depuis que nous tentons d’observer et de mesurer les avancées des collectivités qui portent une ambition politique sur l’alimentation, nous constatons de belles progressions du bio et de nouvelles propositions autour de politiques publiques de l’alimentation. Alors que le monde agricole appelle à l’aide et que pourrait se profiler un nouveau « contrat social », on éclaire en permanence la même rhétorique qui enferme les discussions sur le prix des denrées.

Devant les défis climatiques et sociaux que nous traversons, le débat politique sur la qualité de notre alimentation ne doit-il pas prendre un autre tournant ?

 

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