« Les collectivités disposent d’un nouveau levier sur les questions agricoles et alimentaires »

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16 juin 2021
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Philippe Zavoli est maître de conférences en droit public à l’Université de Pau et des pays de l’Adour. Lors d’un colloque organisé le 2 juin dernier à Bayonne, le juriste a fait part des évolutions récentes du droit de l’urbanisme qui laissent entrevoir de nouveaux leviers d’action pour les collectivités en termes d’aménagement agricole et de stratégie alimentaire.

 

(Un Plus Bio) Jusqu’à présent, les collectivités disposaient de très peu de compétences sur les questions agricoles et alimentaires.

 

Philippe Zavoli – © Christophe Jacquet – Mairie de Paris SCC/DU.

Philippe Zavoli : Tout à fait, on peut même dire qu’il n’existait rien du tout ! Les textes sont très clairs sur la question, puisque selon les dispositions de l’article L.101-3 du code de l’urbanisme, « la réglementation de l’urbanisme régit l’utilisation qui est faite du sol, en dehors des productions agricoles ». Cela signifie que la gestion de l’espace agricole reste totalement étrangère aux collectivités locales qui décident, en gros, du seul caractère constructible ou inconstructible de zones définies dans le cadre de leur plan local d’urbanisme (PLU). Elles disposent toutefois d’une obligation de protéger les terres agricoles, mais cela n’indique rien de l’utilisation qui en est faite. Ainsi, on laisse faire le jeu du marché et, quand les collectivités ne sont pas directement propriétaires du foncier, ce dernier est géré par les acteurs habituels comme les Safer et les professionnels agricoles. J’ajoute une petite exception tout de même : dans les zones A des PLU, réservées à l’agriculture, elles peuvent autoriser certaines « constructions et installations nécessaires à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles, lorsque ces activités constituent le prolongement de l’acte de production des produits agricoles » (lire ici). En gros, les collectivités offrent le droit de construire des outils de vente directe à la ferme…

Régie agricole de Mouans-Sartoux – © Un Plus Bio.

Peut-on attendre de ce droit de l’urbanisme finalement assez figé qu’il bouge un jour ?

Philippe Zavoli : Eh bien justement, il y a un peu de nouveauté depuis le 1er avril 2021, qui devrait amener du changement dans les approches et les pratiques d’ici les prochaines années. Cela se joue à l’échelle des SCOT (Schémas de cohérence territoriale) qui intègrent désormais la notion de « projet d’aménagement stratégique », lequel se décline en plusieurs objectifs. Comme le prévoit l’article 141-3 du code l’urbanisme, ces « objectifs […] concourent à la coordination des politiques publiques sur les territoires, en favorisant […] une agriculture contribuant notamment à la satisfaction des besoins alimentaires locaux« . C’est un petit rien à vue d’œil et si on n’y prête pas attention, mais c’est un vrai changement. En clair, cela va obliger les collectivités à se positionner sur les questions agricoles et alimentaires lors des réalisations ou des actualisations des SCOT. Certes, il est probable que, sur les territoires où les collectivités ne sont pas un peu proactives, il ne va pas se passer grand chose, mais la réalité est bien qu’à présent, ces même collectivités disposent d’un nouveau levier qu’elles n’avaient pas entre les mains avant.

N’y a-t-il pas pour autant une sorte d’inflation du droit qui, à la fin, empêche d’y voir clair et d’agir concrètement ? Car entre les plans locaux d’urbanisme communaux ou intercommunaux, les compétences des départements, celles des régions, les dispositions nationales, le rôle des institutions et des corps intermédiaires, on finit par perdre les élus et les acteurs des territoires !

Philippe Zavoli : C’est vrai que le droit est parfois compliqué et que, plus particulièrement pour le juriste, le plus embêtant réside dans l’instabilité : à peine l’encre d’une disposition réglementaire a-t-elle séché que, souvent, s’en profile déjà une autre qui vient remettre en question la première ! Mais la bonne nouvelle qu’il faut retenir ici, c’est que le droit de l’urbanisme reste une compétence des communes ou des intercommunalités. Le département, la région ou l’État n’ont pas d’action sur ces problématiques locales, et l’article 141-3 fournit désormais un nouveau cadre aux collectivités pour se saisir du levier de l’aménagement stratégique de leur territoire sous l’angle agricole et alimentaire. Tout reste donc à écrire et il revient aux collectivités de se saisir de ce nouvel outil !

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