Le (bon) poisson a-t-il un avenir en restauration collective ?

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20 décembre 2018
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Le port de la Cotinière, sur l’île d’Oléron (17), gagné à la transition écologique.

Sous ce titre volontiers provocateur, la question serait plutôt : existe-t-il un avenir favorable au développement d’une pêche durable dans les cantines comme dans l’ensemble du marché de l’alimentation ?

À Bordeaux, un passionnant débat public organisé par un Plus Bio a permis de fixer les vrais enjeux, ce mardi 18 décembre. Des cuisiniers, des acheteurs, des mareyeurs, des élus, des gestionnaires de collectivités et des chercheurs ont pu faire le tour de la filière halieutique et de ses possibles traductions positives dans les assiettes des cantines.

D’un point de vue point général, on sait au moins deux choses aujourd’hui : de nombreuses espèces de poissons sont sur la sellette dans les mers et océans du monde -lire la toute dernière enquête de l’UFC Que Choisir-, tandis qu’à la cantine, le salut des cuisines passe généralement par le recours à des poissons blancs à chair maigre en filets portionnés, sans arêtes et, osons le dire, sans vrai goût, que seuls des industriels aguerris savent servir en quantités normées, pour ne pas dire standardisées.

Partant de ce constat et des idées reçues qui en découlent, les échanges de la journée de travail, en partenariat avec les départements de la Gironde et des Pyrénées-Atlantiques et le soutien de la fondation Carasso, ont ouvert quelques horizons nouveaux, attendus par les acteurs eux-mêmes de l’amont à l’aval, c’est-à-dire des ports littoraux aux cuisines de la terre ferme.

Et s’il existait une pêche et un élevage aquacole durables comme on observe une agriculture durable ? Une pêche qui rémunère dignement ses artisans, ne menace pas les stocks, amène de la biodiversité dans l’assiette et redonne le goût de cuisiner ? Pour cela, le premier outil à mettre en place est le dialogue des parties prenantes : décloisonner les métiers pour s’éloigner de la seule logique de marché. De nombreux pêcheurs artisanaux, sur le littoral français, sont en effet à l’écoute des nouveaux besoins et sont en mesure d’amener des garanties sur leur prise en compte des enjeux de la ressource.

Créer le dialogue et décloisonner les métiers

Dans le Pays Bassin d’Arcachon-Val de l’Eyre (33), par exemple, sur les 60 tonnes de poissons consommées dans les cantines en 2017, quatre tonnes proviennent de la pêche lcoale, ce qui n’était pas le cas auparavant. Pareil à Bègles (33), locomotive en France pour le bio local, où le directeur de la restauration Nicolas Madet n’hésite plus à afficher le mot générique « poisson » au menu pour offrir le jour J du poisson frais de saison : celui que ses fournisseurs locaux ont pêché la veille ou l’avant-veille. Dans un même service, il y a parfois plusieurs espèces à manger, que des cuisiniers organisés et formés réussissent à apprêter. Grégory Gendre, maire de Dolus d’Oléron (17), a présenté les mutations du port de pêche de la Cotinière, septième au niveau national et qui délivre quelque 95 espèces différentes sur un marché de plus en plus local. Les chaluts, gagnés par la transition écologique, y sont majoritairement artisanaux, et certains tournent aujourd’hui à l’huile de friture usagée ! On citera également les avancées du programme alimentaire « Manger bio Labels et Terroirs » des Pyrénées-Atlantiques, qui a réalisé un livret pédagogique sur les métiers de la pêche locale et introduit, depuis trois ans, de plus en plus de poissons de la criée de Saint-Jean-de-Luz dans les 40 collèges qu’il gère, où les cuisiniers sont régulièrement formés à de nouvelles pratiques pour faire apprécier ces poissons locaux des enfants.

Élus et techniciens des territoires engagés vers une pêche locale durable.

« Les pêcheurs ne comprennent pas toujours les attaques dont ils sont périodiquement l’objet, observe Stéphane Veyrat, directeur d’Un Plus Bio et animateur de la journée bordelaise. On a tendance à écarter du débat public la pêche artisanale qui représente pourtant une part importante de l’activité, avec de vrais professionnels qui ont su prendre des décisions ne serait-ce que pour consolider et pérenniser leur métier. Dans le poisson comme ailleurs, tout n’est pas noir ni tout blanc. Se rencontrer, aborder les sujets qui fâchent sont aussi les voies d’un début de transition. »

C’est pour cette raison que le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) a réagi avec vigueur à l’enquête de Que Choisir, en rappelant que « depuis quinze ans, grâce aux campagnes scientifiques menées, grâce aux efforts de sélectivité engagés et toutes les initiatives en faveur de la durabilité, les pêcheurs français accompagnés par la filière ont su répondre aux objectifs de la Politique Commune de la Pêche. […] La pression exercée par la pêche sur les stocks est désormais limitée à un niveau qui permet de garantir sur de bonnes bases leur renouvellement, tout en tenant compte des facteurs socio-économiques. »

À Un Plus Bio, on ne cherche pas à nourrir la polémique, ni à distribuer les bons ou mauvais points. On rappelle juste que sur terre comme en mer, les bonnes pratiques sont possibles, que derrière chaque métier, il y a des femmes et des hommes qui souhaitent agir pour préserver la biodiversité. Pour que la pêche change, il faut aussi que les mangeurs que nous sommes, soutiennent par leurs achats éclairés ces paysans de la mer qui font partie de nos territoires. Pour le bien des convives de la restauration collective, celui des métiers de la pêche… et pour le bien des poissons !

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