Le regard d’Un Plus Bio – Le foncier agricole

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7 septembre 2023
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Terres nourricières : et si on changeait d'approche ?

Par les multiples enjeux climatiques, économiques, sociaux et environnementaux qu’elle soulève, la question de la production d’une alimentation saine et durable frappe de plus en plus à la porte des collectivités locales, elles-mêmes soucieuses de maintenir et de diversifier leurs paysages agricoles et alimentaires. Dans ce regard d’Un Plus Bio sur le foncier nourricier, nous invitons ces territoires à s’emparer du débat.

Les constats

On a beau essayer de tourner les choses autrement, il faut se rendre à l’évidence : manger trois fois par jour devrait rester une règle commune à bien des mangeurs, du moins dans l’hémisphère nord.

Or pour se nourrir, il faut bien produire et, dans un monde où les promesses parfois hâtives des start-ups de l’alimentation et de l’agriculture n’ont pas encore débouché sur le grand soir, le mieux est encore de compter sur notre bonne vieille Terre et le peu d’humus qui lui reste en surface pour assurer cette noble et indispensable mission.

Certes, il n’est pas faux de penser que notre époque produit son lot d’incertitudes. Largement délaissées aux mains de grands opérateurs du marché et à une approche agri-managériale, l’agriculture et l’alimentation se sont autant éloignées du débat de société auquel elles ont pourtant droit qu’elles se sont largement déconnectées des territoires, là où elles faisaient autrefois -on dira jadis ou naguère, si on veut remonter plus loin- assez bon ménage.

Inversement, faute de perspective, certains cantons, terroirs et régions agricoles commencent à décrocher. Ils laissent la friche, la forêt ou le mitage s’imposer. Ici, on arrache de la vigne à tour de bras, là, les départs à la retraite en masse de la profession ne trouvent pas de repreneurs, là encore, le développement urbain continue d’artificialiser les sols et de grignoter les terres les plus fertiles. Pour résumer, les besoins et les ressources des territoires demeurent décorrélés, avec une série d’effets directs sur l’évolution des paysages alimentaires.

Les enjeux

Alors que faut-il faire et comment réagir ? Première option : rester les bras croisés en attendant la baisse des taux d’intérêt, le retour de la croissance et finalement notre appétence coupable pour l’indifférence ? Pas très mobilisateur. Ou alors, se proposer de profiter du mot crise devenu si banal pour changer d’approche ?

En une vingtaine d’années, par ses rencontres, les chantiers qu’elle conduit et l’inspiration que lui donnent les membres de son réseau, l’association Un Plus Bio a pu assister à l’émergence, d’abord à bas-bruit, d’un phénomène qui semble s’installer au sein de certains territoires : la montée en compétence des collectivités locales sur les questions foncières et alimentaires. Il existe bel et bien bien un espace d’expression et d’action ainsi que de nouveaux outils à disposition des élus.

Souvent, c’est par le prisme des cantines, c’est-à-dire la nécessité de mettre en place une organisation humaine et technique particulière pour nourrir collectivement un grand nombre de citoyens, qu’elles ont mis un doigt dans l’engrenage alimentaire. Manger mieux, bio, brut, local et de saison était pour elles un premier pas, qui entraîne déjà en soi des changements palpables et de nouvelles dynamiques locales. Mais voilà soudain qu’en déroulant le fil de la pelote, elles se voient ouvrir des perspectives plus larges. « Et si on posait un diagnostic éclairé des forces et faiblesses de notre territoire pour définir, au côté des organisations agricoles, une stratégie foncière au service d’une autre politique alimentaire ? », se demandent-elles à raison.

Parce qu’elles emploient de nombreux techniciens aux compétences multiples, parce qu’elles dialoguent sans cesse avec toutes sortes d’échelons institutionnels (de l’État aux organisations professionnelles en passant par les acteurs économiques, le monde associatif ou des instances consulaires), les collectivités intègrent peu à peu cette capacité à peser sur les évolutions.

Dans les premiers temps, cette démarche se fait à tâtons et irrite parfois certains réseaux d’intérêts. Si on schématise, on pourrait dire que le monde agricole n’a jamais vu d’un bon œil l’irruption d’acteurs publics entre ses rangs de céréales et de légumes. L’histoire agraire hexagonale s’enracine assez loin pour le comprendre, à défaut de l’accepter. D’un autre côté, les collectivités locales nous avaient habitués à les voir s’épanouir dans des missions éloignées du contenu de nos assiettes. Leur ingénierie s’est si longtemps concentrée dans l’aménagement de voiries, de réseaux de transports, de parcs de logements et de zones industrielles ou d’activités, qu’on ne leur en voulait pas particulièrement de regarder passer les trains en ce qui concerne l’enjeu crucial de la sécurisation de la production alimentaire ou du soutien au développement agricole.

Les pistes de progression

Les collectivités sont donc au carrefour de nouvelles solutions. Il y a une dizaine d’années, la création des premières régies municipales agricoles a projeté une lumière inédite sur des communes décidées à produire leurs propres denrées à destination des cantines. La popularité de ce modèle, audacieux et méritant, nous enseigne deux choses. La première, cela confirme que les citoyens sont en attente de réponses fortes et souscrivent sans peine aux changement forts et, à l’autre bout, que la puissance publique peut réaliser des petits miracles au niveau local. La seconde, plus délicate, démontre d’une part que s’approvisionner localement en produits de qualité n’est toujours pas évident à certains endroits, et que, surtout, le fait de créer de tels potagers publics, fussent-il vertueux et d’envergure, ne règle pas forcément l’ensemble de la question alimentaire ni ne mobilise tous les acteurs du territoire concerné.

Il n’empêche, les collectivités locales sont en première ligne et disposent de nouveaux moyens et d’outils pour agir sur le foncier. Leur maîtrise des documents d’urbanisme et d’aménagement, leur légitimité et leur capacité à mobiliser des acteurs publics ou privés, leur connaissance affinée des acteurs de leur territoire sont des atouts qui permettent assez facilement de se projeter. Il leur appartient ainsi de créer de nouveaux espaces de dialogue tout en repensant certains modes de gouvernance pour fédérer le maximum d’interlocuteurs. Ici elles peuvent reconquérir des friches, là stocker du foncier, là sanctuariser des espaces agricoles ou naturels. Elles peuvent soutenir les installations en créant des guichets uniques en collaboration avec les partenaires historiques : chambres d’agriculture, réseau des Safer, Conservatoire du littoral…

Elles ont également intérêt à élargir le spectre de leurs intentions agricoles au-delà du seul maraichage qui caractérise bien souvent l’activité des régies agricoles, et réfléchir à d’autres filières comme les céréales, les légumineuses ou l’élevage. Les collectivités peuvent aussi dépasser une approche strictement publique et s’allier avec des propriétaires privés, lesquels ne savent pas toujours quoi faire du foncier dont ils héritent, ou encore proposer des perspectives à des agriculteurs déjà installés pour agir ensemble sur le court terme.
Au final, il existe de belles marges de manœuvre dans les communes, les intercommunalités, les départements et les régions pour créer ce qu’on appelle de nos vœux : des petits ou des grands parlements du foncier. Qu’elles disposent ou non de compétences officielles sur le plan juridique, à vrai dire peu importe. Leur légitimité à porter une vision politique sur leur territoire, associée à leur envie grandissante d’apporter des réponses concrètes aux enjeux climatiques, économiques, sociaux et humains du moment, leur offrent plus que jamais de quoi réfléchir, fédérer et agir avec pragmatisme et efficacité.

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