Comment nourrir les grandes villes ?

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15 mars 2022
Analyses

Relocaliser l’offre alimentaire dans les territoires fortement urbanisés n’est pas une mince affaire, mais la question taraude de plus en plus

certains ensembles métropolitains prêts à relever le gant. Revue de détails entre besoins et ressources des villes.

Cet article est paru dans notre revue « Jour de Fête », à découvrir et commander ici.

Dans une cantine d'Épinay-sur-Seine (93). Photo Jean-Christophe Lemasson.

Les derniers scrutins municipaux et l’élection présidentielle à venir l’attestent : les populations urbaines n’ont jamais eu autant soif de reconnexion au vivant, de respect et de retour à la terre. Elles réclament des avancées en termes d’alimentation durable et locale, souhaitent mieux respirer en ville, boire une eau de qualité au robinet, bref, elles verraient d’un bon œil une autre gestion du patrimoine naturel commun. Mais quand on parle d’assurer la sécurité alimentaire des populations ou d’alimenter les villes avec des territoires géographiquement proches, on découvre vite que ces dernières sont confrontées à une série de problématiques complexes à élucider. D’abord, le défi du foncier. Les terres agricoles, grignotées depuis longtemps par l’urbanisation, continuent de perdre leur vocation nourricière. Un phénomène accentué par la croissance démographique qui se poursuit et les équipements qui vont avec (logements, écoles, maisons de retraite, etc.). Ensuite, il faut se rendre à l’évidence, l’enjeu agricole n’est pas vraiment dans le viseur des collectivités qui, sur le seul périmètre de leurs frontières administratives, ont fini par perdre le contact avec ceux qui produisent et nourrissent. D’où ce paradoxe : on regrette un peu partout la disparition des paysans, mais aucune décision déterminante n’a été prise pour mettre un grand coup de frein à ce phénomène. Non contentes d’avoir tourné le dos aux questions de souveraineté et d’autonomie alimentaires dans le cadre de marchés et d’appels d’offres dont on pensait qu’ils régleraient la question, les grandes villes disposent, pour fabriquer les repas destinés à la restauration collective, d’outils qui font aujourd’hui l’objet d’une remise en cause.

PAS DE BAGUETTE MAGIQUE

Certaines cuisines centrales sont parfois à bout de souffle, entre vétusté et capacités opérationnelles poussées à leur maximum. Si on ajoute à cela le fait que certaines grandes collectivités choisissent de déléguer le marché de leur restauration collective à des opérateurs privés, les conditions de l’instauration d’un dialogue avec le territoire et d’une relocalisation des forces et des acteurs de la production alimentaire deviennent difficiles à réunir. Et pendant ce temps, les acteurs directement concernés dans la chaîne alimentaire, de la production à la consommation, voient leur métier patiner, entre manque de reconnaissance et faiblesse des rémunérations.

 

À défaut de trouver le coup de baguette magique, certains territoires métropolitains commencent à dessiner les pistes d’un nouveau paysage alimentaire. Une des solutions consiste à revoir l’usage de certains équipements et à en repenser la fonction dans l’espace social. Dans des villes comme Nantes, Montpellier ou Grenoble, on s’est interrogé sur la vocation des MIN, ces marchés d’intérêt national ou « marchés de gros », comme à Rungis, nés dans les années 1960 avec un statut public particulier, tombés en désuétude en raison de l’évolution des modes de distribution et de la part grandissante du transport sur route, devenu tentaculaire dans l’espace européen. À Grenoble, l’important groupement de producteurs « Mangez Bio Isère » a redonné des couleurs bio au MIN en y installant ses bureaux et sa plate-forme. Davantage de stockage, des commandes entièrement centralisées, une logistique facilitée : une équipe de douze salariés se relaie quotidiennement pour approvisionner la restauration collective municipale bio et locale, mais aussi la restauration commerciale, les magasins spécialisés et tout lieu où on mange collectivement. La structure profite à une centaine de producteurs engagés et, en bout de chaîne, ce sont plus de cinq millions d’euros d’achats alimentaires annuels qui trouvent un débouché local.

« MIN » DE RIEN, ÇA BOUGE

À Montpellier aussi, le MIN situé au sud de la ville devrait changer de visage. S’il connaît déjà une belle évolution dans ses activités, en 2026, une « Cité de l’alimentation » va y voir le jour. La ville envisage d’y construire sa nouvelle cuisine centrale et un atelier de transformation, comprenant une légumerie et une conserverie. Elle préfère jouer la carte d’une densification d’acteurs et d’activités autour de l’alimentaire sur un même espace plutôt que de grignoter des espaces agricoles dans la ville pour y construire des cuisines de quartier. Pour conserver le foncier agricole disponible, la métropole de Lyon ambitionne, de son côté, de faire de l’agriculture et de l’alimentation un levier de développement, en jouant la carte collective avec les communes partenaires. Le Grand Lyon bénéficie à la fois du statut de département et d’intercommunalité, ce qui lui donne un pouvoir d’action étendu. Il a commencé par sanctuariser de nombreux espaces agricoles dans ses outils de planification, et a mis en place des mesures d’accompagnement technique et financier visant les porteurs de projet agricole et les communes membres. La métropole envisage aussi de s’équiper d’une grande régie agricole intercommunale pour alimenter ses écoles et ses collèges, un outil jusque-là plutôt réservé aux villes petites et moyennes.

Lors de la visite d’un atelier légumerie à Nantes avec Un Plus Bio, en octobre 2016.

Dans un autre registre, la ville de Nantes lance un chantier qui pourrait passer pour plus modeste mais qui s’avère des plus innovants : la cuisine du fait maison. Ce n’est pas le tout de disposer des bons équipements et d’acheter des produits sous signe officiel de qualité, encore faut-il savoir ce qu’on en fait et comment on les cuisine. Bien des territoires urbains ont cherché à améliorer la qualité alimentaire sans que les convives ou les parents d’élèves ne s’y retrouvent. La ville de Toulouse en sait quelque chose qui, longtemps, s’est vu reprocher par un collectif citoyen déterminé le manque de cuisine vivante et de goût, malgré de réels efforts municipaux portés sur la qualité des produits. Proposer à une grande échelle une cuisine maison est de toute évidence un enjeu majeur, qui demande de revoir son approche nourricière sans négliger l’accompagnement des savoir-faire et l’évolution des modes opératoires en cuisine.

Plus grand acheteur alimentaire public de France, avec 30 millions de repas servis chaque année dans ses 1 300 restaurants scolaires, la ville de Paris est passée à la vitesse supérieure ces trois dernières années. Le Plan Alimentation Durable, engagé en 2014, avait déjà changé la donne dans les commandes, avec près de 50 % de produits bio introduits dans les assiettes des écoles, taux qui grimpe jusqu’à 85 % dans les crèches labellisées « En cuisine » par Ecocert. La ville s’est associée à la création de la Coop bio Île-de-France, qui lui sert de grande légumerie avec livraison de fruits et légumes apprêtés en amont des cuisines. Et pour répondre à des besoins grandissants, la ville vient de créer Agri-Paris, une structure dédiée au soutien des filières agricoles et à la consolidation des débouchés des agriculteurs via la commande publique. AgriParis aura pour mission de faciliter l’approvisionnement de la capitale en produits durables et locaux ; une démarche tout à fait en phase avec la consultation citoyenne qui s’est nouée au printemps dernier sur le thème de « Bien manger en 2021, ça veut dire quoi ? ». À Paris, ce genre de questions prend un relief tout particulier quand on sait que, selon l’Ademe, l’autonomie alimentaire y est seulement de trois jours !

Julien Claudel

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