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17 mai 2022
Analyses

Cantines : une belle invention

Une cantine à Narbonne (11), dans les années 1970. Photo Jean-Marc Colombier

Le mot « cantine » apparaît en 1680 pour désigner un « petit coffre dont on se sert à l’armée pour transporter les bouteilles ». Son usage sera d’abord limité aux repas et aux boissons des soldats, avant d’investir la vie des employés en entreprise, les administrations, les écoles, les maisons de retraite, l’hôpital et les prisons.

Bien du chemin a été parcouru pour arriver à ce service public qui, bien que facultatif sur un plan légal, relève le défi quotidien de servir en nombre des repas équilibrés à des coûts très raisonnables.

Un article extrait de notre revue « Jour de Fête »

Au fond, depuis quand mange-t-on en collectivité, c’est-à-dire dans le cadre d’organisations humaines développées en dehors du domicile ? Les premières  cantines étaient militaires, lorsqu’il fallait nourrir les troupes cantonnées sur des champs d’opération qui duraient de plusieurs jours à plusieurs semaines. Auparavant, pendant une bonne partie du Moyen-Âge, les monastères et les  abbayes ont également initié l’organisation de petits repas collectifs, selon le respect de règles strictes, dont le silence à table. Il faut attendre le XIXe siècle pour voir se multiplier les lieux de restauration collective, d’une part avec la révolution industrielle qui impose des cadences de travail pénibles : la cantine d’usine apparaît à la fois comme une mesure de compensation sociale et un bon moyen d’augmenter la productivité sur site ; d’autre part, elle se développe avec la généralisation progressive de l’instruction publique, voire un peu avant. On
dit par exemple que la première cantine scolaire serait née à Lannion, dans les Côtes-d’Armor, sous l’initiative du notaire et maire de la commune Émile Depasse. Dans une « salle d’asile et d’hospitalité » créée pour recevoir les enfants nécessiteux des faubourgs ouvriers de la capitale livrés à la rue, il organise le premier repas collectif le 1er janvier 1844 avec une centaine de jeunes enfants qui prennent place autour de quatre grandes tables disposées en rectangle. L’ancêtre du réfectoire.

« Il est tout à fait indispensable d’assurer aux enfants du peuple une nourriture saine et suffisante pour leur développement physique. »

Sous le Second Empire, alors que des mesures sociales viennent corriger le dénuement des familles les plus pauvres, certaines écoles accueillent les indigents dans ce qu’on peut appeler des prémices de cantines. « Cette organisation est bien simple et bien rudimentaire, mais c’est peut-être cette absence de toute complication qui en fait une oeuvre scolaire de bonne et vraie solidarité, digne de tous les éloges et digne de tous les encouragements », écrit le ministre de l’instruction publique Victor Duruy en 1869. Nous y voilà, le principe d’un repas à bon marché, pris dans un lieu d’accueil dédié, fait son chemin.

On aurait pu croire que, sous la IIIe République, avec la généralisation de l’école obligatoire, gratuite et laïque, les choses avancent. Or la cantine est d’abord oubliée. À la campagne, on reste sur le modèle de paniers inégalement remplis que les enfants, venant parfois à pied d’assez loin, mangent sous le préau ou dans la cour. Quand l’instituteur le propose, il est permis de réchauffer son repas sur le poêle de la classe. En ville, les déjeuners collectifs sont de plus en plus organisés, mais plus dans l’idée de favoriser l’assiduité scolaire que dans celle de lutter contre une éventuelle sous ou malnutrition. En 1917, alors que la saignée démographique de la Grande guerre stupéfait les esprits, Albert Calmette, médecin bactériologiste et découvreur du vaccin BCG, constate un afflux important de jeunes tuberculeux dans les hôpitaux. Parmi les premiers, il défend l’idée que « les cantines scolaires doivent être développées, multipliées, rendues obligatoires dans toutes les écoles parce qu’il est tout à fait indispensable d’assurer aux enfants du peuple une nourriture saine et suffisante pour leur développement physique ; c’est un devoir national ». Mais il faut encore attendre 1936 et l’arrivée au pouvoir de Léon Blum et du Front populaire pour rendre obligatoire la construction d’un réfectoire dans chaque école, notamment après la rédaction d’un rapport qui fait date sur « la question de l’alimentation au ministère  de l’Éducation nationale : les cantines scolaires », par Cécile Brunschvicg,  secrétaire d’État à l’éducation nationale. En 1938, la France compte ainsi quelque 9 000 réfectoires, essentiellement en ville.

Visite des édiles de la cité dans une cantine de Narbonne.

1956 : Fini, le vin à table !

Alors que les communes s’organisent toujours sans aide de l’État, c’est après la  Libération que les pouvoirs publics décident d’aider les collectivités à la  construction de cantines sur les territoires. Président du Conseil sous la IVe  République, Pierre Mendès-France introduit une série de réformes pour lutter contre la malnutrition. En 1954, un décret généralise le service d’un bol de lait sucré à tous les enfants, une mesure destinée autant à lutter contre les carences  alimentaires qu’à réduire la consommation… de vin à la cantine ! Eh oui, l’alcool  était réputé renforcer les organismes, souvenons-nous de Pasteur qui, devant la qualité aléatoire de l’eau potable, louait l’hygiène et le caractère sanitaire du vin. C’est dire si on partait de loin.

Les années passant, avec le baby-boom qui suit la guerre et l’arrivée des femmes dans la vie des entreprises, la cantine s’impose largement comme un lieu de socialisation, d’alimentation équilibrée et accessible à tous les publics. Si bien qu’aujourd’hui, beaucoup de cantines disposent de diététiciennes pour travailler les menus. Le Programme national de l’alimentation, le Programme national nutrition santé, les avis réguliers du Haut conseil de santé publique et, depuis 2018, les lois EGalim 1 et 2 font aussi des cantines un des leviers principaux de l’accès pour tous à une alimentation diversifiée, de qualité et équilibrée. Le débat public autour de la qualité alimentaire n’a ainsi jamais fait de pause. Quand hier on s’interrogeait sur les bienfaits d’arrêter la consommation d’alcool, aujourd’hui on traque le moindre gramme en excès d’acide gras saturé,
de charcuterie et d’additif alimentaire. Parallèlement, on célèbre de plus en plus l’introduction des protéines végétales. Le bio et le local apparaissent comme des planches de salut pour des territoires qui se questionnent, du reste comme les citoyens, sur la cohérence de leur modèle alimentaire… Pour une fois, on ne pourra pas vraiment dire que « c’était mieux avant », et même si le service de restauration scolaire reste, sur le plan législatif, « facultatif ».

Julien Claudel

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