Daniel Cueff : « C’est un combat joyeux, même si la situation est grave »

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18 septembre 2019
Trois questions à...
Le maire de Langouët, surnommé le « shérif » par ses (rares) opposants depuis la publication de son arrêté anti-pesticides en mai dernier.
Plus qu’une vague, le maire de la petite commune de Langouët en Bretagne fait face à un véritable tsunami médiatique. Son arrêté anti-pesticides, retoqué par le tribunal administratif le 27 août, n’en finit pas de créer un courant de sympathie dans l’opinion. Sur son vélo, à la télé, dans sa mairie, Daniel Cueff continue de diffuser en lanceur d’alerte son message auprès de la population, des élus et du monde agricole.

Votre arrêté bannissant les pesticides à 150 m des habitations vous expose médiatiquement comme jamais ? Comment réagissez-vous ?

Je suis très étonné, et je remercie tous ceux qui m’accusent d’avoir tout organisé de me prêter un pouvoir que je n’ai pas ! Sur le fond c’est un combat joyeux, même si la situation est grave. Je suis soutenu par de nombreux collègues élus, mais tous ne franchissent pas le pas comme à Langouët, souvent par peur de la réaction des lobbys. Ce n’est pas évident de s’exposer ainsi, je les comprends, et moi-même avant de prendre l’arrêté en mai dernier, j’en ai parlé à ma famille. Les risques de représailles et d’intimidation, on l’a vu ces derniers mois, sont réels pour les élus. On craint logiquement des agressions, sur nous, nos proches, nos maisons. Ma famille m’a dit « tu as raison de t’inquiéter, mais il faut y aller ». Alors j’y suis allé.

À ce jour, plus de 60 communes ont pris un arrêté similaire au vôtre en France, vous pensez qu’il y a un « effet Langouët » ?

C’est le signal d’un grand soutien et d’une vraie prise de conscience, mais c’est aussi une période compliquée, les élus sont tenus à un devoir de réserve à six mois des prochaines municipales. Si on était tous en début de mandat, je pense qu’on serait beaucoup plus nombreux à publier des arrêtés de ce type. Quant à moi, le message a pris une ampleur sans précédent et je me sens à présent protégé par une épaisse couverture médiatique. Un courant de sympathie énorme traverse notre commune, je reçois une centaine de mails par jour à la mairie, des centaines de cartes postales, des milliers de messages de soutien via des associations et des ONG, dont certains écrits par des personnalités, comme l’acteur Guillaume Canet ou le Goncourt de la poésie Yvon Le Men. Le jour de l’audience, un groupe de cinq adolescents est venu du Morbihan à vélo après 211 kilomètres pour me soutenir, un concert de soutien va être organisé à Langouët. Bref, je remercie vraiment mon ami et sénateur écologiste du Morbihan Joël Labbé de m’avoir inspiré cet arrêté. Grâce à lui, je n’ai plus de vacances et je suis passé du statut de maire à celui de « shérif », comme me qualifient mes opposants !

Malgré cela, les arrêtés interdisant aux agriculteurs conventionnels d’épandre des produits chimiques près des maisons sont systématiquement suspendus par les tribunaux administratifs saisis par les préfets. Juridiquement, quelque chose cloche.

Je n’en suis pas si sûr, attendons de voir comment va se dérouler l’audience d’appel. Nos avocats plaident pour dénoncer une carence de l’État dans la protection des populations. La France est en infraction depuis des années avec la directive européenne, et son dernier « arrêté Phyto » de mai 2017 qui encadre les épandages de pesticides ne protège pas aussi bien les habitants que le demande l’Union européenne. La haute instance a déjà fait annuler une partie du texte. Il semble qu’il existe de vraies failles juridiques, je ne suis pas un expert, mais j’ai bon espoir que la réglementation évolue un jour.
Je rappelle aussi que c’est un arrêté de paix, non agressif ni violent. Il n’attaque pas les paysans, il pose seulement la question des produits chimiques employés.

Selon vous, pourquoi a-t-on tant de mal à progresser sur la question agricole et l’environnement, alors que l’attente sociale n’a jamais été aussi forte ?

Le problème des pesticides n’est pas une affaire de Bisounours, il y a de gros intérêts en jeu. Parmi les lobbys, la puissante FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) a une influence décisive dans les instances politiques comme dans les coopératives agricoles, elles-mêmes tenues par les vendeurs de pesticides. Nous sommes dans une région où l’agriculture intensive a fait des dégats depuis les années 1960. À l’époque, Langouët avait été déclarée commune test du remembrement en Ille-et-Vilaine, ce programme qui a entièrement détruit le bocage. Imaginez que sur les terres communales, un des agriculteurs aujourd’hui disparu n’était autre que Jean-Michel Lemétayer, l’ancien président de la FNSEA…

« J’ai le devoir de répondre à l’inquiétude des habitants »

Je connais très bien la famille agricole de Langouët qui a évidemment mal reçu l’arrêté, le père de l’exploitant est mon deuxième adjoint au conseil municipal. Ils sont aujourd’hui très fâchés contre moi. Mais en prenant cette décision, je savais pertinemment qu’il existe des solutions alternatives dans la bande des 150 m, et pour ma part j’ai le devoir de répondre à l’inquiétude des habitants dont la campagne de mesure de taux de glyphosate dans les urines a révélé des résultats extrêmement inquiétants. Cela étant, je comprends la colère de la famille, ce sont des agriculteurs engagés dans une logique d’agrandissement, ils sont tenus à des objectifs de rendement difficiles à tenir et, surtout, à des prêts bancaires qui les empêchent de faire marche arrière sous peine de mettre la clé sous la porte.

Le bio n’est pas donc très avancé à Langouët, en dehors de la cantine ?

Au contraire, depuis des années nous faisons évoluer les pratiques. La cantine est en effet 100% bio depuis quinze ans, les logements sociaux sont écologiques, on produit une partie de notre électricité… Il y a aujourd’hui trois agriculteurs bio sur la commune, un éleveur qui fait du lait et de la viande, une ferme de volaille avec poules pondeuses et un apiculteur. Je connais leur arbre généalogique sur plusieurs générations, quand certains ont repris l’activité de leurs parents, ils ont voulu changer de modèle en passant au bio. C’est une vraie réussite qui leur apporte beaucoup de soutien et de popularité parmi les habitants. Mais il reste encore une dizaine de paysans aux pratiques conventionnelles sur certaines parties du village…

Recueilli par Julien Claudel

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